Du fait de la place particulière qu’occupent les Etats-Unis dans le monde, l’élection du président des Etats-Unis est sans doute la seule élection nationale qui suscite un intérêt et un retentissement mondial, avec des soirées électorales télévisées organisées aux 4 coins de la planète pour suivre les résultats le jour du vote. Le système politique américain, et en son centre la figure du président des Etats-Unis et le rituel de son élection, est donc par conséquent le système politique que nous avons l’impression de bien connaître en dehors du nôtre. Et pourtant, on est souvent loin du compte. Il suffit d’écouter les “experts” autoproclamés sur les plateaux de télévision française en période électorale américaine pour se rendre compte que le système politique américain est bien souvent mal compris, et que les jugements simplistes sur un système en réalité fort complexe ne permettent pas de comprendre les tenants et aboutissants du jeu politique américain. Nous allons essayer de vous y faire voir plus clair. Et vous le verrez la tâche est délicate.
Air Force One survole le Mont Rushmore
L’élection présidentielle aujourd’hui
Le système politique contemporain des Etats-Unis est le fruit d’une longue histoire. Et si, à la différence de la France, les Etats-Unis en sont toujours à leur première République, et que la Constitution votée il y a deux siècles et demi préside toujours aux destinées du pays, il n’en reste pas moins que le système de gouvernement actuellement en place aux Etats-Unis a connu des évolutions multiples, dont les racines profondes expliquent souvent ce qui nous apparaît comme des incongruités manifestes. Avant de nous atteler à comprendre ces racines et évolutions, commençons par faire le point de la fonction présidentielle et des élections présidentielles telles qu’elles existent aujourd’hui.
La fonction présidentielle
Le président des Etats-Unis est élu pour 4 ans, avec deux mandats maximum, une limitation imposée en 1951 par un amendement à la Constitution, suite aux mandats particulièrement longs de Franklin Roosevelt (président pendant plus de 12 ans). Le président doit être Américain de naissance, âgé d’au moins 35 ans, et résident sur le territoire américain depuis au moins 14 ans lors de son élection. Il est le chef de l’exécutif, nomme les ministres de son gouvernement, mais également de très nombreux fonctionnaires fédéraux (juges fédéraux, ambassadeurs, directeurs des très nombreuses agences fédérales qui vont de la CIA au FBI en passant par la NASA pour ne citer que les plus connues). Il dirige la politique étrangère du pays mais les éventuels traités qu’il négocie doivent être ratifiés par le Sénat. Il est le commandant en chef des armées mais n’a pas le pouvoir de déclarer la guerre (un privilège qui revient au Congrès, toujours dans une volonté d’équilibrage des pouvoirs et de contrôle du pouvoir exécutif). Enfin il intervient dans le processus législatif de par son pouvoir de véto sur les lois votées par le Congrès.
Le président Obama dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche à Washington DC
Le vice-président
Aux côtés du président, le vice-président a pour fonction principale de présider le Sénat (et de voter en cas d’égalité pour départager les sénateurs). C’est également lui qui est appelé à prendre la place du président si celui-ci était dans l’incapacité de remplir ses fonctions (décès avant la fin de son mandat, démission, impeachment, …), un événement pas si rare dans l’histoire politique américaine, car 9 vice-présidents ont accédé à la présidence ainsi, sur 45 présidents dans l’histoire des Etats-Unis (le dernier en date étant Gerald Ford qui succéda à Nixon en 1974 à la suite de l’affaire du Watergate). Le vice-président est élu en même temps que le président. Ils se présentent sous une candidature commune, que l’on appelle “ticket présidentiel”.
Les Etats-Unis : une Union fédérale
Comme l’atteste le nom du pays, les Etats-Unis d’Amérique sont avant tout une Union fédérale qui regroupe 50 États différents. Chacun de ces 50 États possède sa propre constitution, ses propres lois, ses propres organes de gouvernement (un gouverneur, deux chambres législatives, un système judiciaire). Si vous tuez votre voisin en Louisiane, vous ne serez pas jugé pareil que si vous l’aviez tué en Californie, car les lois ne sont pas les mêmes dans ces deux États. Et le champ d’exercice du pouvoir des Etats est très large, et dépasse de beaucoup celui du pouvoir fédéral, même si nous le verrons, il est de plus en plus influencé par lui. En conséquence de quoi, même pour les élections fédérales, prévues par la Constitution, les élections sont toujours organisées et gérées localement dans chaque Etat. Les Etats-Unis ne sont pas un pays qui a choisi un mode de découpage fédéral du pouvoir : ce sont à l’origine 13 États différents (issus des 13 colonies britanniques), qui se sont regroupés au sein d’une Union Fédérale. Chacun de ces 13 Etats préexistait à la création des Etats-Unis d’Amérique, et chacun d’entre eux disposait d’une constitution propre et de lois propres AVANT la création de la Constitution américaine et de l’Union. Ces Etats se sont associés au sein d’une Union fédérale, mais n’ont pas dissout leur souveraineté dans un Etat supérieur qui les aurait remplacés. Cela paraît assez théorique vu d’ici, mais c’est pourtant une réalité incontournable du système politique américain. Reprenons un exemple judiciaire : si vous tuez votre voisin en Louisiane, et que vous êtes arrêté au Texas, vous devrez être extradé du Texas vers la Louisiane pour y être jugé. L’implication de cet état de fait sur l’élection présidentielle est très simple : il n’existe pas réellement d’élection directe du président des Etats-Unis par les électeurs américains. L’élection présidentielle est une élection indirecte, dans un contexte fédéral.
La Déclaration d’Indépendant, 1776
Un président élu au suffrage universel indirect
Dans le système mis en place par la Constitution, le Président des Etats-Unis est élu de façon indirecte, par un Collège électoral dont les membres sont des grands électeurs désignés par chaque Etat membre de l’Union, de manière proportionnelle à la population de cet Etat. C’est tout ce que prévoit la Constitution américaine. Aussi, dans les premières années de la République américaine, le président n’est pas élu au suffrage universel, ni direct, ni indirect. Chaque Etat est libre de choisir comment il désigne les grands électeurs qui lui sont octroyés en proportion de sa population (les Etats les plus peuplés ont plus d’électeurs que les Etats les moins peuplés). Ainsi sur le papier, chaque Etat peut faire élire les grands électeurs directement par le peuple, comme il peut les faire nommer par la Chambre des représentants de son Etat par exemple. Il peut décider que tous ses grands électeurs voteront comme un seul homme pour le candidat à la présidentielle qui est majoritaire dans l’Etat, comme il peut assigner ses grands électeurs proportionnellement à la popularité de chaque candidat dans l’Etat. Il peut aussi choisir de leur donner un mandat de vote impératif, ou bien les laisser libres de voter comme ils l’entendent lors de la réunion du Collège Électoral qui va formellement élire le nouveau président début janvier. Dans les premières années, chaque Etat avait des dispositions différentes pour désigner ses grands électeurs, qui partaient se réunir à Washington pour élire le président. Bien souvent, ce n’est qu’une fois réunis dans la capitale fédérale que les tractations pour constituer un ticket présidentiel (un président plus un vice-président) allaient bon train, et par un savant jeu d’alliances, accouchait d’un nouveau président pour le pays.
La façade sud de la Maison Blanche, résidence et bureau du Président des Etats-Unis
Mais progressivement, la majorité des Etats ont finalement choisi de faire évoluer leurs règles électorales locales, afin d’élire leurs grands électeurs par un scrutin démocratique direct, et de donner au vainqueur de ce scrutin dans leur État (celui remportant la majorité relative des voix exprimées lors du scrutin local dans l’Etat), la totalité des grands électeurs de l’Etat. Une des raisons de cette évolution fut certes la volonté d’une évolution plus démocratique de l’élection présidentielle, où le choix du président dépendrait plus directement du vote ces citoyens, mais aussi pour beaucoup, la volonté de voir son État peser autant que possible dans l’élection présidentielle. En effet, les candidats à la fonction présidentielle pouvaient difficilement ignorer les intérêts des électeurs d’un Etat ayant choisi ce mode de désignation : une perte d’une courte majorité dans cet Etat lui coûterait tous les grands électeurs de l’Etat et potentiellement l’élection générale. Aussi, les candidats durent se résoudre à aller faire campagne directement au contact de la population dans les Etats ayant choisi ce mode de désignation, par un scrutin populaire donnant la primauté au candidat ayant remporté la majorité des suffrages dans l’Etat. Bientôt quasiment tous les Etats adoptèrent des lois en ce sens, et le président des Etats-Unis est ainsi désormais élu depuis 1824 au suffrage universel indirect. Aujourd’hui, il ne subsiste que deux Etats qui n’allouent pas l’intégralité de leurs grands électeurs au vainqueur de l’élection locale : le Nebraska et le Maine.
De ce fait, il est techniquement possible que le vainqueur de l’élection présidentielle n’ait pas obtenu la majorité des voix du vote populaire sur l’ensemble du territoire américain. C’est déjà arrivé 4 fois dans l’histoire électorale américaine, la dernière étant en 2016 où Donald Trump l’a emporté en nombre de grands électeurs sur Hillary Clinton, qui le devançait pourtant en nombre de votes des électeurs sur l’ensemble des Etats-Unis. C’est généralement le cas lorsqu’un candidat remporte de manière écrasante les Etats les plus peuplés (comme New York ou la Californie), mais ne réussit pas à rassembler une majorité dans un nombre suffisant d’Etats. Il vaut mieux pour l’emporter gagner à 51% contre 49% dans de très nombreux Etats et perdre à 25% contre 75% dans les Etats les plus peuplés que l’inverse. Chaque fois que cela se produit, des voix s’élèvent pour réclamer une réforme des élections et une élection au suffrage universel direct du président, mais une telle évolution impliquerait un amendement de la Constitution américaine, tâche très complexe et lourde qui a peu de chance d’aboutir. D’autant qu’un certain nombre d’Etats n’y sont absolument pas favorables, le système actuel les mettant souvent en position d’arbitres des élections, malgré leur faible population, et leur permettant d’influencer la politique américaine et d’obtenir l’attention des candidats. A l’inverse, un vote au suffrage universel direct les diluerait inexorablement dans le volume des 5 ou 6 Etats les plus peuplés qui pourraient à eux-seuls choisir le gagnant des élections. Et si de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le fait que le mode de scrutin des élections présidentielles américaines n’est pas le plus démocratique qui soit, il faut rappeler que là n’était pas l’enjeu premier des pères fondateurs de la démocratie américaine, qui visaient plus à limiter les possibilités des uns et des autres à accaparer un trop grand pouvoir, comme nous l’évoquerons plus loin.
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- Fin 2019 – début 2020 – Campagnes des primaires
- Début février 2020 – Lancement des premiers caucus (Iowa 3 février) et des premières primaires (New Hampshire 11 février)
- 3 mars 2020 – Super Tuesday – Primaires dans 15 Etats simultanément
- Fin avril 2020 – fin des primaires et caucus
- 13-16 juillet 2020 – Democratic National Convention – le candidat démocrate est officiellement désigné
- 24-27 aout 2020 – Republican National Convention – le candidat républication est officiellement désigné
- Septembre – Octobre 2020 – Campagne présidentielle et Débats télévisés entre les candidats
- 3 novembre 2020 – Jour de l’Election
- 14 décembre 2020 – Vote des Grands Electeurs du Collège Electoral
- 6 janvier 2021 – Certification des résultats du vote des Grands Electeurs par le Congrès
- 20 janvier 2021 – Investiture du nouveau président
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Calendrier des Elections 2020
La campagne électorale pour l’élection présidentielle
Les campagnes électorales démarrent très tôt aux Etats-Unis, car chacun des deux principaux partis, le Parti républicain et le Parti démocrate, choisit son candidat lors de primaires organisées plusieurs mois avant les élections proprement dites. La campagne pour les primaires commence donc plus d’un an avant la date de l’élection présidentielle. L’objectif des primaires est de faire émerger un candidat pour chaque parti qui ait l’assentiment de la majorité des électeurs de ce parti. Les règles des primaires sont affreusement complexes et encore une fois différentes dans chaque Etat, allant du suffrage universel indirect à des systèmes de caucus (des assemblées locales débattant de chaque candidat selon des règles complexes avant de procéder à l’élection de représentants à la convention nationale du parti qui désignera officiellement le candidat du parti durant l’été précédant l’élection présidentielle). Ces conventions ont un rôle très important car elles doivent permettre aux candidats des primaires, qui se sont écharpés pendant des mois, de se réunir autour de la candidature du vainqueur de la primaire, afin de partir en ordre de bataille pour la présidentielle. Si cette synthèse n’est pas correctement faite, les chances de succès du candidat choisi sont potentiellement durablement handicapées : c’est ce qui est arrivé en 2016, lorsque la victoire de Hillary Clinton aux primaires démocrates laissera un arrière-goût amer à une partie de l’électorat démocrate qui ne se mobilisera pas le jour de la présidentielle autour d’une candidate jugée par certains comme illégitime, lui coûtant probablement l’élection face à Donald Trump. Afin de voter aux primaires de leur seul parti d’affiliation, les Américains sont inscrits sur les listes électorales en tant que Démocrate, Républicain ou indépendant. Cela paraît très étonnant pour nous Européens, mais jusqu’à très récemment, le système politique américain était suffisamment consensuel pour que cela ne pose pas de problème, chacun assumant sans difficulté son affiliation. Ceux qui choisissent de rester indépendants ne peuvent pas voter pour les primaires et se contenteront d’arbitrer entre les deux candidats choisis par les deux grands partis.
Discours de Barack Obama devant la Democratic National Convention en 2008
Il est également important de noter qu’aucune loi n’impose formellement le bi-partisme dans le système politique américain : de fait, il existe d’autres partis beaucoup plus petits, qui proposent chaque année des candidats à certaines élections y compris à la présidentielle, mais ne pèsent pas lourd dans les résultats, les reléguant à un rôle mineur dans la politique américaine. Il est beaucoup plus efficace de militer à l’intérieur de l’un des deux grands partis pour faire évoluer leur centre de gravité dans la direction que l’on souhaite que de militer en dehors, au sein d’un parti minoritaire qui n’aura qu’une influence ultra marginale sur la politique du pays.
A l’issue des primaires et des conventions des deux grands partis, la campagne présidentielle peut véritablement démarrer. Elle est ponctuée de rassemblements géants, de publicités parfois très agressives à la télévision, et de débats télévisés organisés comme des joutes modernes.
Premier débat présidentiel à la télévision de l’histoire, opposant Kennedy et Nixon
Mais il faut bien comprendre également qu’il s’agit moins d’une grande campagne présidentielle, que de 50 campagnes différentes, dans les 50 Etats où les électeurs sont amenés à voter. Dans chacune de ces campagnes locales, les préoccupations des électeurs sont différentes et amènent à des messages, des stratégies, elles-mêmes très différentes, avec des spots publicitaires ciblés et souvent uniques à un seul État. Les Américains souvent n’hésitent pas à afficher leur soutien à leur candidat favori, en arborant les couleurs du candidat sur leurs casquettes, sur les pare-chocs de leur voiture ou via des petits panneaux plantés dans leur jardin. On est toujours surpris en parcourant les Etats-Unis en période électorale de voir tous ces panneaux électoraux et cet affichage ostensible de soutien à tel ou tel candidat (candidat à la présidentielle bien sûr mais aussi à toutes les élections plus locales comme l’élection du shérif par exemple).
Panneaux de soutien aux candidats sur les pelouses devant les maisons américaines
Les modalités du scrutin
A l’issue de la campagne, les Américains sont appelés aux urnes le premier mardi de novembre. Mais ils ne votent pas exclusivement pour leur président à cette date. En fait, les Américains sont appelés à voter tous les deux ans, afin de renouveler entre autres la Chambre des représentants, et le tiers du Sénat (qui est renouvelé par tiers tous les deux ans, pour un mandat de 6 ans pour chaque sénateur). Une fois sur deux, ils votent donc également pour leur président. Mais ce n’est pas tout. Les Américains votent également pour leur gouverneur (le chef de l’exécutif de l’Etat dans lequel ils résident), la Chambre de représentants et le Sénat de leur Etat respectif, leur shérif, certains de leurs juges ou de leurs procureurs, et même les membres de leur Board of Education local qui gère les écoles publiques de leur circonscription. En outre, ils peuvent être appelés à se prononcer sur des propositions de loi soumises au jugement direct des électeurs dans certains Etats.
un électeur remplit son bulletin de vote
Autant dire que le bulletin de vote d’un Américain ressemble bien peu à celui d’un Français : il s’agit le plus souvent d’une feuille A3, sur laquelle il peut se prononcer pour chacun de ces multiples scrutins, en cochant des cases pour les candidats de son choix. Ces bulletins sont ensuite scannés dans des lecteurs optiques qui vont décompter les voix pour chaque élection. Dans certains Etats, ces bulletins ont même été remplacés par des machines à voter électroniques, où l’on vote directement sur des écrans tactiles, sans bulletin. On est bien loin du vote simple et direct qu’on connaît en France, avec des petits bulletins papier placés dans une enveloppe, dans une urne transparente qui sera dépouillée publiquement sous le regard de nombreux scrutateurs et décomptés à la main. La logistique associée à ces élections américaines est tellement lourde que dans la plupart des cas, ce sont des employés municipaux (salariés) qui sont en charge de la tenue des bureaux de vote et du décompte, là où dans une élection française il ne s’agit que de volontaires qu’il est interdit de rémunérer. Et chaque État, voire chaque County (comté), organise ces dépouillements comme il l’entend, achète ses machines à voter ou à compter les votes au fournisseur qu’il veut.
Scanner pour compter les votes
Le soir de l’élection, les bulletins sont comptés (par des machines), et les résultats par County sont égrainés tout au long de la soirée électorale. Le vote étant décompté par Etat, un sondage national de sortie d’urne n’aurait pas la précision suffisante pour déterminer le vainqueur présomptif comme chez nous : il faudra attendre dans chaque Etat que l’avance d’un des candidats soit mathématiquement trop importante pour qu’il puisse être rattrapé avant de déclarer cet Etat comme acquis à tel ou tel candidat. Le vainqueur remporte alors la totalité des grands électeurs de cet Etat. Et ce n’est que lorsqu’un candidat a accumulé un nombre suffisant de grands électeurs (270 au minimum sur 538) qu’il peut être déclaré vainqueur de l’élection présidentielle par les médias.
Soirée électorale sur CNN
Ces déclarations de victoire ne sont pour autant pas officielles : il faudra en réalité attendre plusieurs semaines avant que chaque Etat ne finisse le décompte complet des votes (notamment de certains votes par correspondance arrivés tardivement comme le vote des militaires déployés à l’étranger), puis certifie et publie officiellement les résultats définitifs. Il faudra ensuite attendre la mi-décembre pour que les grands électeurs votent officiellement pour leur candidat, un vote de principe puisque pour l’essentiel, ils sont contraints par la loi de leur Etat de voter conformément aux résultats du scrutin populaire dans leur Etat. Le vote des grands électeurs du Collège Électoral sera enfin officiellement décompté et validé par le Congrès tout début janvier, juste avant l’inauguration officielle du nouveau président autour du 20 janvier.
Cérémonie d’investiture du président Theodore Roosevelt devant le Capitol en 1905
Si pour une raison ou une autre, le Congrès ne peut pas valider le vote des grands électeurs début janvier (en cas d’égalité par exemple, c’est théoriquement possible, ou si un Etat n’a pas pu certifier ses grands électeurs à temps et qu’il manque des grands électeurs pour atteindre la jauge nécessaire de 270 électeurs), c’est le Congrès en exercice qui devra décider du nouveau président, par un vote par Etat (tous les représentants au Congrès d’un Etat votent ensemble pour déterminer le vote unique de leur Etat). C’est arrivé deux fois dans l’histoire politique des Etats-Unis, mais jamais depuis que les Etats désignent leurs grands électeurs au suffrage universel.
Quid du vote par correspondance dont en entend tellement parler pour la présidentielle de 2020, et de la fraude électorale
On l’a vu, le système électoral aux Etats-Unis est très complexe, surtout comparé au système français particulièrement simple, clair, et transparent. La multiplicité des scrutins (dans chacun des 50 États), répondant à des règles toutes différentes et changeantes, et le fait que l’on vote pour des dizaines de fonctions ou projets de loi simultanément, ce qui impose un décompte mécanique ou électronique des suffrages n’aide vraiment pas à rendre simple et transparent le processus électoral aux Etats-Unis. Si l’on compare par exemple le système électoral américain au système électoral français, la différence est flagrante en terme de clarté et de transparence. En France, on ne vote que pour un seul scrutin à la fois, aux Etats-Unis pour de multiples élections en même temps. En France, tout citoyen peut tenir un bureau de vote et participer au dépouillement. Personne n’est rémunéré. Tous les partis présents aux élections désignent des scrutateurs dans chaque bureau de vote, qui ne sont pas de simples observateurs mais participent à la tenue du bureau de vote et au dépouillement. Aux Etats-Unis, les bureaux de vote sont tenus par des employés municipaux rémunérés. En France, le scrutin se tient en une seule et unique journée, un dimanche, jour où traditionnellement la majorité des citoyens ne travaillent pas. Aux Etats-Unis, les élections se tiennent un mardi, et le vote anticipé existe dans la majorité des Etats, étalant le processus de vote effectif sur des dizaines de jours, là où en France, tous les bulletins de vote sont déposés par l’électeur lui-même, dans une urne transparente, où ils resteront au vu et su de tous pendant moins d’une journée avant d’être comptés. Aux Etats-Unis, il est possible de voter par correspondance, quand cette pratique est interdite en France, précisément pour garantir la transparence du scrutin et éviter les fraudes électorales. Seul le vote par procuration est autorisé, strictement encadré, et nécessite de faire établir une procuration devant un juge d’instance, un greffier, un consul ou un gendarme, en présence de l’électeur qui ne pourra se présenter aux urnes, et au bénéfice d’un électeur de la même commune, qui ne pourra détenir que deux procurations maximum, et une seule établie en France (et une établie à l’étranger).
Une d’un quotidien de Providence dans le Rhode Island dénonçant des fraudes électorales en 1928
Et les fraudes électorales existent aux Etats-Unis, notamment lors de scrutins locaux : ainsi par exemple en 1994, l’élection d’un sénateur en Pennsylvanie fut renversée par un tribunal fédéral qui jugea le sénateur un temps donné vainqueur, coupable de fraude électorale. La politique aux Etats-Unis n’est pas le royaume des saints. Quand Barack Obama est élu président des Etats-Unis en 2008, il démissionne de son poste de sénateur. Le gouverneur de l’Illinois en exercice à l’époque, qui a le pouvoir de nommer son remplaçant, est alors accusé d’avoir vendu son pouvoir de nomination au plus offrant et sera reconnu coupable et condamné à 14 ans de prison. Les fraudes électorales sur les élections fédérales et notamment l’élection présidentielle sont plus compliquées mais pas pour autant inédites. Elles supposent en théorie une action conjointe dans de nombreux scrutins locaux, ce qui les rend très complexes à mettre en œuvre, sauf si une élection est très serrée et se joue à quelques dizaines de milliers de voix dans quelques Etats clés. Il est pourtant rare que les éventuelles fraudes soient relevées et dénoncées, dès lors qu’elles ne permettent pas de changer le résultat de l’élection. Ainsi, par exemple, lors de l’élection du président Kennedy à la présidence en 1960, de fortes présomptions de fraude dans l’Etat de l’Illinois furent relevées par de nombreux observateurs. Une partie de l’entourage de Richard Nixon le pressa de contester les résultats mais ce dernier refusa, arguant qu’une victoire dans l’Illinois serait insuffisante pour changer le résultat de l’élection au niveau national. A l’inverse, quand en 2000, le sort de la présidentielle qui opposait George W Bush et Al Gore se joua sur le basculement du seul Etat de Floride dans le camp républicain ou démocrate, avec un écart de moins de 1000 voix, un bras de fer politique et juridique opposa les deux candidats. Après de nombreuses péripéties et un recomptage manuel dans plusieurs circonscriptions, le résultat définitif accorda pour la seconde fois la victoire à George W Bush avec seulement 537 voix d’avance. Mais le fiasco de l’élection en Floride porta un sérieux ombrage sur le système électoral américain et son incapacité à formaliser un résultat clair et incontestable pour l’ensemble des électeurs, un grand nombre d’électeurs démocrates contestant le résultat de cette élection.
Recomptage manuel des bulletins de vote pendant l’élection Bush/Gore de 2000 en Floride
C’est un scénario partiellement identique qui s’est joué en 2020, mais dans un contexte assez différent, que nous allons tenter de vous exposer brièvement et de manière la plus objective possible. La crise du Covid-19 est arrivée en pleine campagne présidentielle américaine, alors que les primaires étaient déjà bien engagées. Évidemment, la thématique du Covid s’est immiscée dans les débats politiques à tous les niveaux, et notamment au niveau des règles de scrutin. Face à la pandémie et aux perspectives de confinement possible, un certain nombre d’Etats, notamment majoritairement démocrates, ont choisi de modifier les règles du vote par correspondance. Ils ont notamment autorisé une plus large fraction de la population à voter par correspondance, un déplacement le jour du vote dans un bureau de vote étant jugé potentiellement dangereux. Cette mesure sanitaire n’était pas forcément dénuée d’arrières pensées électorales, lorsque l’on sait qu’historiquement, le vote par correspondance tend à favoriser les candidats démocrates. Et comme les règles sont propres à chaque Etat, ce sont des dizaines de modifications différentes de règles de mode de scrutin qui furent mises en place, pour l’essentiel en suivant la voie légale. Ainsi, certains Etats n’ont rien changé, d’autres ont assoupli leurs règles d’éligibilité au vote par correspondance (qui nécessitait auparavant par exemple une excuse valable comme être militaire en poste à l’étranger), et enfin, certains Etats ont fait du vote par correspondance une règle plutôt qu’une exception en adressant plusieurs semaines ou mois avant le vote, un bulletin de vote par correspondance à tous les inscrits sur leurs listes électorales (alors que dans la plupart des Etats, voter par correspondance requiert une démarche active de l’électeur). Dès le départ de ces modifications, les républicains, non sans arrières pensées politiques eux aussi, ont protesté contre une partie de ces dispositions, qui pouvaient altérer de leur point de vue le résultat de l’élection, mais aussi faciliter la fraude électorale, de nombreuses règles contraignant le vote par correspondance dans des procédures strictes ayant été considérablement assouplies. Ainsi le taux de rejet des votes par correspondance est traditionnellement assez élevé dans les élections, car les règles à suivre pour garantir un vote honnête sont nombreuses et les bulletins non conformes (pas correctement signés, envoyés dans une enveloppe non conforme, arrivés en dehors du temps réglementaire etc.) sont écartés. En assouplissant toutes ces règles, le taux de rejet des votes par correspondance a énormément baissé lors de cette élection, ce qui fait dire aux démocrates que la démocratie s’en porte mieux car les votes de plus de gens ont été comptés, et qui fait dire aux Républicains que la démocratie est en danger car les garde fous permettant de limiter les fraudes électorales ont été supprimés. Si les résultats électoraux de cette élection avaient été une victoire franche pour l’un ou l’autre des deux candidats (comme le prévoyaient initialement les sondages), cette polémique aurait vite été oubliée, car les éventuelles différences n’auraient pas été de nature à changer le résultat de l’élection (comme lors de la supposée fraude dans l’Illinois en 1960 lors de l’élection de Kennedy). Mais comme les résultats furent extrêmement serrés dans quelques Etats clés, tout était en place pour une répétition, en pire, du fiasco du décompte des voix en Floride en 2000. Et finalement, l’élection qui devait réconcilier l’Amérique continue de la diviser comme jamais : les Etats-Unis sont irrémédiablement coupés en deux, avec deux camps aux résultats extrêmement serrés en terme d’écart de voix dans les Etats clés, et une moitié de l’Amérique qui célèbre le vainqueur “officiel” (il ne le sera officiellement qu’une fois le vote du Collège Électoral à la mi décembre), et une autre moitié qui se sent flouée d’une élection (86% des électeurs de Trump réfutent la victoire de Biden et 89% soutiennent leur candidat dans ses contestations légales).
Cependant, il serait trop simpliste de croire que les problèmes de cette dernière élection présidentielle ne seraient que des problèmes techniques qu’une modernisation ou unification des procédures de vote pourrait aussi simplement résoudre. La polarisation extrême du débat politique aux Etats-Unis est le fruit d’une longue histoire qui ne saurait se résumer aux soubresauts les plus récents. Des divergences de nature très profondes sont à l’œuvre, et ont accompagné l’évolution progressive de la démocratie américaine, depuis ses origines jusqu’à ce qu’elle est devenue de nos jours. Et pour bien comprendre le moment particulier que vit l’Amérique aujourd’hui, il est nécessaire de revenir à la fondation du système politique américain, et d’en mesurer l’évolution historique.
La genèse du système politique américain
Les Etats-Unis sont l’une des plus vieilles démocraties au monde, fondée en 1776 par la Déclaration d’Indépendance, par laquelle les délégués des 13 colonies anglaises des Amériques proclamaient à la face du monde, se désolidariser de l’Empire britannique et vouloir assumer seuls leur destin dans l’Histoire. Il faudra néanmoins attendre la fin de la guerre d’indépendance (les Anglais n’ayant pas accepté de laisser filer ces colonies sans mot dire), et la victoire inattendue des armées de volontaires coloniaux menées par George Washington contre la plus grande puissance militaire mondiale, pour que le nouveau pays se dote d’une constitution, en 1787. Les discussions furent longues et complexes pour savoir quel système politique se choisirait le nouvel Etat. Mais lorsque Benjamin Franklin, l’un des délégués à l’assemblée constituante, sortit de la Old Pennsylvania State House de Philadelphie où ils étaient réunis, apostrophé par une passante lui demandant le type de gouvernement qu’ils leur avaient choisi, ce dernier aurait répondu : “A Republic, if you can keep it” (une république, pour autant que vous soyez en mesure de la faire perdurer). On retrouve dans cette citation deux aspects majeurs des fondements politiques des Etats-Unis. La forme du gouvernement tout d’abord : une république. Par opposition à une monarchie, évidemment, mais notez bien qu’il ne dit pas une démocratie, mais bien une république, un choix des mots très important pour l’époque. Car si la Constitution américaine met en place un système politique intrinsèquement démocratique, le mot “démocratie” n’est tout simplement pas présent dans le texte de la Constitution, qui insiste sur la notion de république. Dans l’esprit des fondateurs des Etats-Unis politiques, la démocratie est avant tout le règne de la majorité, qui peut potentiellement très vite basculer dans la tyrannie de la majorité. A l’inverse, une république est pour eux un gouvernement non pas du peuple (demos-cratos), mais un gouvernement de la loi. C’est ce que les Américains appellent le “rule of law”, et qu’on pourrait traduire par “l’Etat de droit”, bien que le sens ait beaucoup évolué depuis cette époque. Pour faire simple, les Américains sont moins intéressés par savoir d’où est issu le pouvoir (de la volonté de la majorité ou de la volonté d’un seul homme), mais plutôt de se protéger contre l’arbitraire du pouvoir, que ce pouvoir soit exercé par un seul homme ou un gouvernement élu à la majorité. Ce qui prime pour eux, c’est avant tout de défendre les droits de chacun, et un gouvernement est formé non pas pour édicter ou modifier ces droits, mais pour défendre ces droits. Ce sont les individus qui sont dotés de droits naturels inaliénables, et le gouvernement est un mécanisme politique et social, qui est mis en place pour tenter de protéger et défendre ces droits individuels. Mais ce faisant, le gouvernement peut être (et les Américains en savent quelque chose) la cause même de la transgression des droits des individus. Ainsi, la Constitution américaine insiste moins comme chez nous sur les mécanismes d’expression de la volonté du peuple, que sur les mécanismes de limitation du pouvoir du gouvernement. Ce qui nous amène à la seconde partie de la citation de Benjamin Franklin : “if you can keep it”. Les pères fondateurs du système politique américain, qui ont connu la tyrannie du Roi d’Angleterre, sont particulièrement méfiants à l’égard du pouvoir en général, et le fait de faire passer l’origine de ce pouvoir de la volonté d’un seul homme (le roi) à l’expression de la volonté du peuple par le suffrage ne tend pas à les rassurer particulièrement. Ils ont donc à cœur de construire un système politique qui limitera le pouvoir du gouvernement, et mettent en garde le peuple contre son propre gouvernement : “if you can keep it”. Il sera donc également du devoir des citoyens de garder le gouvernement sous contrôle.
Benjamin Franklin
La limitation du pouvoir
Les moyens de limiter ce pouvoir jugé par nature corrupteur par les pères fondateurs, sont multiples, mais reposent pour l’essentiel sur la séparation ou plutôt l’opposition des pouvoirs. Pour commencer, les Etats-Unis sont avant tout une Union de républiques indépendantes. Comme nous l’avons déjà évoqué, c’est un système fédéral qui est mis en place, et une très grande partie du pouvoir politique est conservée au niveau de chaque Etat. Le pouvoir est par conséquent réparti verticalement entre les Etats et le gouvernement Fédéral. Deuxième point capital, le pouvoir octroyé au gouvernement fédéral est une liste de pouvoirs énumérés (“enumerated powers”). On est ici en plein dans la Rule of Law, la conception américaine de l’Etat de Droit. Le gouvernement fédéral ne peut exercer qu’un nombre limité de pouvoirs, dans des domaines circonscrits et dûment énumérés dans la Constitution. Dans le dixième amendement à la Constitution, qui fait partie du Bill of Rights, une série de 10 amendements votés dans la foulée de la proclamation de la Constitution pour mieux en préciser les contours, il est précisé que tous les pouvoirs qui n’ont pas été délégués spécifiquement au gouvernement des Etats-Unis par la Constitution, restent exclusivement réservés aux Etats membres de l’Union ou au peuple des Etats-Unis. Le gouvernement fédéral est donc contraint dans son exercice du pouvoir, il n’est pas omnipotent, et ne peut se prononcer sur n’importe quel domaine. La troisième mesure de limitation du pouvoir, est une claire séparation des pouvoirs, un équilibre, ou plutôt une opposition des pouvoirs au sein du gouvernement, séparé en trois branches, exécutive (le président), législative (deux chambres : la Chambre des représentants qui représente le peuple et le Sénat qui représente les Etats) et judiciaire (la Cour suprême). Le président a sur le papier peu de pouvoirs mais peut mettre son véto aux lois votées par les deux chambres qui ne peuvent le contrecarrer que par un vote aux 2/3 des représentants dans chacune des chambres. Les chambres sont libres de voter les lois, mais outre le véto présidentiel, la Cour suprême veille à ce qu’aucune de ces lois ne soient en contradiction avec la Constitution des Etats-Unis. Si un juge (n’importe quel juge) considère qu’une loi votée par le Congrès n’est pas conforme à la Constitution, il peut la juger inconstitutionnelle et ne pas l’appliquer. En cas d’appel, le jugement sur la constitutionnalité de cette loi remontera toute la chaîne judiciaire jusqu’à la Cour suprême qui tranchera en dernier ressort. Les juges à la Cour suprême sont nommés par le Président, mais confirmés par le Sénat, et sont nommés à vie pour leur garantir une totale indépendance une fois nommés. Toujours cette volonté de fragmenter le pouvoir, et de faire jouer le pouvoir des uns contre celui des autres afin d’affaiblir la capacité du Gouvernement Fédéral à user de son pouvoir autrement que dans les strictes limites préalablement fixées par la Constitution.
Préambule de la Constitution des Etats-Unis
La présidentielle américaine : un impact plus limité qu’on le croit …
Dans ce contexte, l’élection du Président des Etats-Unis est symboliquement importante, mais ce n’est qu’un rouage parmi tant d’autres du fonctionnement de la démocratie américaine. On peut facilement le constater lorsqu’on voit le bras de fer politique terrible qui s’est joué pour la nomination des deux derniers juges à la Cour suprême par le Président Trump (les juges Brett Kavanaugh et Amy Coney Barret) : ces nominations ont le potentiel d’avoir plus d’influence sur la politique américaine des 10 ou 20 prochaines années que l’élection présidentielle de 2020 ne pourra jamais en avoir. Autre exemple : le sort de la majorité au Sénat est aujourd’hui au moins aussi important que la bataille pour connaître le vainqueur définitif du duel présidentiel contesté. En effet, avec 48 sénateurs républicains et 48 sénateurs démocrates, le sort du Sénat repose sur les deux sénateurs de l’Etat de Georgie, qui n’ont pas obtenu les 50% de voix requis par la Constitution de Georgie pour être investis. Il y aura donc une nouvelle élection début janvier pour trancher, élection locale en Georgie mais dont le résultat pourra changer radicalement la présidence des 2 ou 4 prochaines années : si les républicains l’emportent dans les deux sièges mis en jeu en Georgie, ils conservent la majorité au Sénat, et peuvent bloquer l’action d’un président démocrate. Si au contraire, les démocrates gagnent un ou deux sièges en Georgie en janvier, ils reprendront le contrôle du Sénat, ce qui leur laissera un champ beaucoup plus libre pour imposer leurs choix politiques. Seule la Cour suprême serait à même de limiter leur exercice du pouvoir. Mais encore une fois, il ne faut pas voir ces “limitations” comme des problèmes, mais comme des éléments centraux du système politique destinés à limiter les capacités du gouvernement comme souhaités par les pères fondateurs. Ainsi donc, la campagne pour l’élection sénatoriale dans le seul Etat de Georgie va devenir le coeur de l’enjeu politique des prochains mois aux Etats-Unis, et on souffle déjà que cette élection de deux sénateurs dans un petit État de 10 millions d’habitants va concentrer plus d’un milliard de dollars de dépenses électorales par les deux camps, soit plus de 10 fois plus qu’une élection présidentielle française …
La croissance progressive du pouvoir fédéral va donner une importance nouvelle à la fonction présidentielle
Alors pourquoi une fonction politique dont le pouvoir effectif théorique est finalement assez limité dans la Constitution américaine, est-elle pourtant aussi médiatisée et soulève un tel intérêt. Les raisons en sont multiples. La première, c’est que si le pouvoir du gouvernement fédéral est originellement très limité dans la Constitution américaine, l’évolution de la pratique politique aux Etats-Unis depuis plus de deux siècles a conduit l’Etat Fédéral à prendre une part beaucoup plus importante dans la vie quotidienne des américains. Cette évolution a été lente et progressive, mais il est indéniable que les craintes que les pères fondateurs de la démocratie américaine avaient de voir le pouvoir fédéral dépasser les limites qu’ils lui avaient fixées se sont vite avérées fondées. C’est notamment par une interprétation toujours plus souple de contraintes des pouvoirs énumérés, que l’Etat Fédéral a pu au fil des années intervenir progressivement dans des secteurs qui lui étaient originellement étrangers. La clause qui a le plus permis au gouvernement fédéral d’étendre son pouvoir de réglementation sur la vie des américains est sans aucun doute la Commerce Clause qui établit que le pouvoir fédéral a le droit de réguler le commerce entre les Etats membres de l’Union. Dans un pays où la pratique des affaires allait progressivement s’étendre d’un environnement local à un environnement national puis international, l’Etat Fédéral va progressivement, avec l’appui tacite ou explicite de la Cour suprême, s’immiscer dans des réglementations autrefois jugées totalement hors de son contrôle : durant le New Deal, à la fin des années 30, le Gouvernement de Franklin Roosevelt réussit à faire passer des législations nationales sur des sujets qui avaient longtemps été bloqués par la Cour suprême, comme l’établissement d’un revenu minimum fédéral, le travail des enfants, la réglementation des industries. Autant de sujets originellement laissés à la compétence exclusive des Etats de l’Union, mais qu’une interprétation très souple de la Commerce Clause allait faire basculer dans l’escarcelle du gouvernement fédéral. Dans les années 60, la Commerce Clause fut également utilisée pour un sujet a priori totalement étranger au commerce, en forçant la déségrégation des hôtels, au motif que la clientèle des hôtels était souvent des clients originaires d’un autre Etat, et que ces entreprises tombaient sous le coup des activités de commerce entre les Etats membres de l’Union. La seconde technique qui fut utilisée pour faire grandir le pouvoir du gouvernement fédéral fut ensuite le levier financier. Alors que l’Etat fédéral n’était à l’origine financé que par de modestes taxes sur le commerce (principalement des droits de douane aux frontières extérieures de l’Union), l’instauration en 1913 d’un impôt sur le revenu fédéral (qui nécessita le vote d’un amendement à la Constitution) donna progressivement au gouvernement fédéral un budget toujours plus important, qui lui permis d’étendre son influence dans des domaines qui lui étaient autrefois interdits. C’est par exemple le cas de l’éducation, ou de la police, deux compétences totalement étrangères aux pouvoirs énumérés du gouvernement fédéral d’après la Constitution. Ici, le gouvernement ne va pas légiférer de manière directe, mais lourdement influencer les gouvernements locaux, en usant de ses capacités de financement. Si un Etat ou un Comté souhaite toucher les importantes subventions à l’éducation, il leur est demandé de suivre un certain nombre de directives qui s’apparentent progressivement à l’instauration d’une centralisation des politiques d’éducation dans le pays. De la même manière, le gouvernement fédéral a utilisé l’arme financière dans les années 90 pour encourager les États à voter des réformes de leur politique pénale, en échange de fonds pour moderniser les forces de police. C’est le Violent Crime Control and Law Enforcement Act of 1994 voté sous la présidence de Bill Clinton qui a par exemple donné des fonds fédéraux importants aux Etats qui votaient des lois généralisant des peines de prison obligatoires de 25 ans à perpétuité à partir de la troisième condamnation. La majorité des Etats américains se dotèrent de telles lois dans la foulée, et reçurent des financements fédéraux pour construire de nouvelles prisons. Le Gouvernement fédéral qui n’a théoriquement aucun pouvoir dans le domaine du droit pénal des Etats fédérés a ainsi considérablement influencé la politique pénale aux Etats-Unis en jouant sur le levier financier.
L’évolution du mode d’élection du président va achever de donner une place centrale à la présidentielle
On comprend mieux dès lors, que le gouvernement fédéral limité voulu par les pères fondateurs de la République américaine a cédé progressivement la place à une administration du pouvoir plus classique, aux compétences élargies, redonnant une place centrale au Président des Etats-Unis. D’autant que ce mouvement d’accroissement des pouvoirs s’est également accompagné d’un mouvement allant vers une élection du président directement par les électeurs comme nous l’avons vu plus haut. Ce mouvement n’est pas encore achevé, puisqu’il reste encore le mécanisme intermédiaire des grands électeurs, qui fait obstacle au simple décompte des voix majoritaires dans l’ensemble du pays, et contraint le président à gagner ses votes dans le maximum d’Etats différents. C’est le dernier mécanisme qui cherche à éviter que les Etats les plus peuplés ne puissent dicter leur choix aux Etats plus nombreux mais moins peuplés. Les Etats-Unis font clairement face à un choix fondamental : poursuivre la route vers un fonctionnement plus Démocratique, plus en phase avec ce qui est pratiqué dans la grande majorité des démocraties dans le monde, ou stopper là cette évolution qui tend à éloigner le système politique américain du modèle de république voulu par leurs pères fondateurs, dont l’enjeu premier visait plus à limiter les possibilités des uns et des autres à accaparer un trop grand pouvoir. Un choix qui dépasse de beaucoup le choix d’une nouvelle personnalité pour représenter le pays et qui marquera beaucoup plus durablement le futur de cette nation.
Crédits photos : Wikipedia (1/2/3/4/5/6/7/8/9/10/11/12)
Merci Silvère pour cet article très complet.
Vraiment passionnant !
Bien à vous.
Jean-Yves B
Effectivement, explication très intéressante qui nous permet, nous français, de comprendre les différences de fonctionnement des élections américaines. Quant aux élections de cette année,il est difficile de prendre parti sachant que les contrôles lors des dépouillements ne sont pas comparables à notre façon d’opérer. Il est difficilement compréhensibles de masquer les anomalies relevées, à tort ou à raison, dans les bureaux, les retards de bulletins, les bulletins doubles ou les bulletins de personnes disparues et peut-être le bourrage des urnes ou l’inversion des bulletins par les machines. Vaste capharnaüm qui pour mon analyse pourrait se régler par la Cour Suprême.
Article très intéressant et très complet sur le système bien “américain” des élections. La bonne nouvelle est que, historiquement, il n’y a jamais eu autant de personnes qui ont votés cette année et cela est une bonne nouvelle pour la démocratie !
Bonne journée à vous !