Traversée du Grand Canyon : le récit sincère d’une randonnée de l’extrême Rim-to-Rim-to-Rim

Ce dernier périple dont nous sommes rentrés il y a trois semaines déjà, est le fruit d’une longue digestion et préparation. Il y a 6 cinq ans, après avoir effectué une descente dans le Grand Canyon par le South Kaibab Trail jusqu’à la Colorado River, campé une nuit au Bright Angel Campground pour remonter le lendemain par le Bright Angel Trail, nous étions ressortis complètement courbaturés, n’arrivant plus à marcher correctement pendant plus de 3 jours. Mais la douleur disparaissant nous ne gardions qu’un souvenir ému de cette longue randonnée. Nous découvrions alors également les récits de randonneurs traversant le Grand Canyon d’une rive à l’autre (soit un “Rim-to-Rim” ou 2R). C’est à cette époque que cette extraordinaire traversée, extraordinaire par ses paysages et par l’exploit sportif (un parcours de 24 miles soit 38 km avec un dénivelé cumulé de 3200 mètres) est devenue un de mes rêves. Nous avons alors travaillé à sa réalisation. Il était évident dès le départ que nous ne tenterions pas cette traversée en une journée, comme le font les spécialistes de l’ultra trail. Si environ 6 millions de personnes visitent le Grand Canyon chaque année, moins de 1% descendent dans le canyon jusqu’au Colorado, soit environ 60 000 personnes (entre 100 et 300 par jour selon la saison). La très grande majorité d’entre eux ne fait qu’un aller-retour depuis la rive sud (comme nous l’avions déjà fait il y a 6 ans). Mais une petite partie se lance dans une traversée d’une rive à l’autre (Rim-to-Rim), et une partie encore plus infime, sur un aller-retour d’une rive à l’autre (Rim-to-Rim-to-Rim). En randonnée, la traversée d’une rive à l’autre prend entre 12 et 15h avec une belle pause en bas du canyon. Les adeptes de l’ultra trail, qui courent sur une bonne partie du chemin, mettent en moyenne deux fois moins de temps. Ceux qui se lancent dans une folle traversée aller-retour (75km) le font en moyenne en 14h, et beaucoup moins pour les meilleurs d’entre eux (le record du monde est en dessous de 6h, ce qui est absolument incroyable quand on connaît les dénivelés).

L’avantage de l’option d’une traversée dans la journée est que vous effectuez le parcours avec un équipement minimal, en restant très léger donc très mobile. Mais cela nécessite une pratique du trail de longue date, plus un entraînement très spécifique, hors de notre portée. En outre, cette option, si elle magnifie l’exploit sportif, ne permet pas réellement de profiter pleinement du canyon et de ses magnifiques paysages, car les adeptes du trail sont contraints de traverser une grande partie du canyon de nuit.
Nous avions donc en tête d’effectuer un Rim-to-Rim en deux ou trois jours avec une ou deux nuits au fond du canyon… en camping sous tente (et donc évidemment, en portant tout le matériel nécessaire). Certes il existe un logement en dur au fond du canyon, le Phantom Ranch, mais il est extrêmement difficile à obtenir (il faut participer à une loterie aléatoire des mois à l’avance, ce qui rend la chose très complexe pour les étrangers qui doivent prendre des vols) et d’autre part, l’idée de camper plusieurs nuits dans cet extraordinaire canyon nous ravissait.
Une fois notre décision prise d’effectuer cette traversée, nous avons réfléchi à la meilleure période pour un tel projet. Il nous sembla d’abord évident que cela ne pouvait être qu’en été afin de restreindre les coûts et de l’intégrer à notre périple estival annuel. C’est ainsi que nous avions programmé de le faire lors de notre périple de l’été 2017. Mais des problèmes de santé de notre fille aînée durant ce périple nous avaient conduits à annuler cette traversée. L’expérience nous apprendra par la suite que cette annulation fut vraiment une bénédiction. Il nous apparaissait au fil des lectures que la traversée en été était particulièrement éprouvante à cause des chaleurs extrêmes au cœur du canyon. Plus on se renseignait, plus on affinait notre projet, plus il nous paraissait finalement raisonnable de programmer cette traversée en mi-saison, à l’automne ou au printemps afin d’avoir un temps plus clément (moins chaud qu’en été où le fond du canyon est une réelle fournaise avec des température entre 40 et 45 degrés, et plus chaud qu’en hiver où la progression dans les parties haute du canyon peuvent s’effectuer dans la neige ou le verglas…).
Malheureusement ce périple nous semblait revenir trop cher pour un séjour de mi-saison avec les enfants car cela nécessitait de prendre des billets d’avion quasiment uniquement pour faire cette traversée. J’avais donc mis de côté ce rêve, et l’avait reporté à bien plus tard, pour un périple à deux, sans les enfants.
Mais le COVID est passé par là. Notre activité professionnelle a été réduite à néant pendant près de deux ans. Nous qui aimions tant partir explorer les vastes contrées américaines désertiques, étions confinés : plus de longues balades, plus de sentiment de liberté. Nous avons exploré notre ville, Paris, en long, en large et en travers, puis les alentours. Notre terrain d’exploration s’est élargi au gré des autorisations gouvernementales. Nous avons découvert les Calanques entre Marseille et Cassis comme terrain de jeu hivernal lorsque les déplacements en France furent de nouveau possibles, et cette liberté retrouvée ne fit qu’intensifier notre goût des randonnées nature sur des sentiers pentus. A l’automne dernier, les nouveaux confinements incessants et la perte de ma grand-mère ont rendu ce périple indispensable : besoin de liberté et de se mettre un objectif qui impliquerait de se bouger et de se dépasser. La décision fut donc prise de programmer la traversée du Grand Canyon Rim-to-Rim pour le printemps 2022 !
Concrètement nous devions postuler pour tenter d’obtenir les permis nécessaires pour passer plusieurs nuits dans le Grand Canyon : ouverture des candidatures en novembre 2021 et résultats en décembre. A cette étape, nous avons également dû revoir notre planning : nous souhaitions initialement réaliser un Rim-to-Rim, une traversée d’une rive à l’autre, mais à nos dates (vacances de printemps 2022) la rive Nord du Grand Canyon serait toujours fermée (elle ferme en hivers à cause de la neige). Par conséquent, il n’existait à cette saison aucune option de logement du côté nord et surtout aucune navette pouvant nous ramener à notre voiture restée sur la rive sud … Par conséquent, pour tenter cette traversée, il ne nous restait plus qu’une seule option : faire non pas un Rim-to-Rim mais un Rim-to-Rim-to-Rim (ou 3R). Nous ne partions plus pour une randonnée de 38 km mais pour 75 km, avec un dénivelé cumulé également doublé à 6400m, dont la moitié de dénivelé positif. Autant dire un défi d’une nature toute autre que mon rêve de départ.
Mais notre besoin d’évasion était trop fort et nous avons donc évalué que ce périple serait possible sur 3 jours, avec deux nuits au fond du canyon et avec une bonne préparation physique sur les 4 mois qui nous séparaient encore du départ.
L’étape des permis passée avec succès, nous avons pris nos billets d’avion Aller/Retour Paris-Las Vegas pour nous et nos deux jumelles de 14 ans (ultra sportives, et n’ayant donc pas besoin d’un entraînement spécifique pour s’engager dans une telle randonnée). Puis nous avons établi un programme d’entraînement pour nous : salle pour moi, et randonnée hebdomadaire en couple de 15-20 km dans Paris et ses environs (une de nos randonnées consista par exemple à faire le tour de la butte Montmartre en montant et descendant l’intégralité des escaliers du quartier), puis une escapade de 3 jours dans les Calanques entre Marseille et La Ciotat, avec sac à dos, afin de tester notre capacité à enchaîner les longues balades pentues, avec un certain poids d’équipement sur le dos.
Si le Covid a finalement retardé d’une dizaine de jours ce dernier entraînement, cette excursion fut vraiment très instructive : nous avons pu tester une partie de notre matériel de randonnée (chaussures de marche, chaussette, vêtements chauds/froids, alimentation, …) ainsi que notre endurance.

Puis arriva la fin du mois d’avril. Quelques jours avant le départ, nous finalisions nos valises et surtout les affaires pour la randonnée. Malgré nos nombreuses lectures, nous avions beaucoup de mal à appréhender la quantité de nourriture nécessaire pour ces 3 jours de randonnée en autonomie. Nous avons donc misé sur des sachets de fruits secs, de cacahuètes, des barres de céréales, de la pâte d’amande, mais aussi des saucissons secs (français 🙂 ), du jambon sec espagnol, un peu de chips Pringles, des riz au lait et crèmes au chocolat Yabon, des bagels, du pain au riz et seigle parfait pour la conservation et pour se faire plaisir 3 fondants Baulois (gâteaux de voyage qui se conserve à température ambiante) et deux sachets de confiseries Jacques Génin ! La veille de la descente, deux voix s’opposaient : la mienne essayant d’emporter un maximum de victuailles, et celle de Silvère qui tentait par tous les moyens de réduire le poids des sacs à dos.
Nous nous sommes donc envolés pour Las Vegas (via une escale à Detroit). Nous avions prévu deux nuits sur Las Vegas car à l’heure où nous avions pris nos billets, les frontières américaines venaient tout juste d’ouvrir et nous craignions des modifications de vol de la part des compagnies aériennes, qui auraient pu mettre en péril notre traversée (dont les dates des permis ne pouvaient être modifiées).
Puis nous avons rejoint Williams et notre hôtel pour notre dernière nuit avant notre traversée.
Je ne vous cache pas que cette dernière soirée avait comme un goût de veille d’examen, et je n’arrêtais pas de me demander : mais pourquoi diable nous sommes-nous lancés dans cette folle aventure ? Mais pourquoi Silvère m’a t-il écoutée et non freinée dans mes ardeurs ? N’est-il pas habituellement le garde fou de mes idées les plus extravagantes ? Le lendemain matin, nous prenons la direction du Visitor Center du Grand Canyon Rive Sud, à une petite heure de route, où nous déposons notre voiture. Une navette nous conduit au point de départ du South Kaibab Trail. Et c’est à 8h56 que nous nous lançons à l’assaut du canyon. Le temps est idéal : le ciel parfaitement bleu, un peu de vent qui gomme complètement la chaleur du soleil montant. Nous retrouvons les paysages de roche rouge, mais non moins très variés qui ponctuent le chemin jusqu’au Colorado. Ce sentier est tout en descente, ce qui pour la majorité des personnes est synonyme d’effort moindre, mais pas pour moi. Descendre sur une forte pente requiert de ma part un effort continu de contrôle intense pour ne pas tomber et réussir à suivre les filles qui sont déjà loin devant. Nous faisons quelques arrêts pour déguster les confiseries Jacques Génin (fins chocolats mais aussi mendiants, orange confite, nougats ou caramels !) ou céder le passage aux mules chargées soit de victuailles pour le Phantom Ranch, soit de touristes souhaitant descendre avec de moindres efforts 😉 . Au bout de 3h30 de marche nous arrivons au tunnel qui nous mène à la passerelle qui enjambe la rivière Colorado. Encore un dernier effort avant d’arriver au Phantom Ranch où nous pourrons nous reposer un peu et surtout prendre une bonne lemonade rafraîchissante (comprendre citronnade glacée). Puis tout le monde se lève pour continuer le chemin jusqu’à notre camping, le Cottonwood Campground situé à encore 11km de là. La route devrait être plutôt “facile”, certes en montée, mais avec un dénivelé progressif et pas trop intense. Mais n’oublions pas qu’elle est consécutive à une marche de 4h avec un fort dénivelé descendant. Donc tout le monde est prêt à partir quand soudain, je suis prise de vertige et manque de m’évanouir. Oups!
Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe. La descente s’était pourtant bien passée. Nous soupçonnons une insolation. C’est vrai que si nous n’avons pas souffert de la chaleur grâce au vent, le soleil tapait finalement assez fort dans la seconde partie de la descente, et nous sentons que nous avons pris des coups de soleil sans trop nous en rendre compte. Après quelques minutes allongée, je me remets finalement en selle, mes “walking poles” en main 🙂 . Le chemin serpente à travers un magnifique canyon. Le paysage ne ressemble vraiment pas à celui traversé sur la rive Sud. C’est une véritable découverte. Une rivière court au centre de ce petit canyon, et alimente une flore verdoyante le long du chemin. Nous traversons même une petite zone marécageuse avec de nombreux roseaux. La chaleur est assez pesante et cette partie porte bien son nom de “box canyon”, car le canyon y emprisonne la chaleur comme dans une boîte ! Nous apprécions néanmoins de nombreuses sections ombragées qui tempèrent la chaleur. Si le paysage est vraiment à couper le souffle, cette seconde partie de randonnée nécessite pour moi des efforts continus : je n’ai pratiquement rien mangé depuis le petit-déjeuner à part les quelques chocolats car je n’arrive pas à avaler quoi que ce soit. Nous atteignons finalement notre camping après 4 longues heures de marche. Quel soulagement ! Sous une nuée d’insectes volants et agressifs, les filles montent leur tente et Silvère la nôtre pendant que je me repose un peu ;-). Puis nous ne trainons pas trop pour prendre le repas du soir. Je n’arriverai pour ma part à manger que 2 fines tranches de jambon sec. Avant de nous coucher nous faisons un point sur la situation. La journée du lendemain devait être une journée consacrée à la montée jusqu’au sommet de la rive Nord puis la redescente jusqu’à notre camping, soit une balade d’une douzaine de kilomètres mais avec un dénivelé très important. Nous avons en effet parcouru la moitié de la distance qui nous sépare de la rive nord, mais seulement à peine un tiers de la hauteur du canyon. Et évidemment, cette seconde journée sera suivie par une troisième journée de randonnée, encore plus intense, avec de nouveau 11 km en légère descente pour rejoindre le Phantom Ranch, suivis de la remontée intégrale du canyon sur la rive sud. Comme il est précisé sur les brochures du parc national, au Grand Canyon, “la descente est toujours optionnelle mais la remontée est toujours obligatoire”. Quoi que l’on décide, je dois être capable d’effectuer la dernière randonnée de sortie du canyon, d’une manière ou d’une autre. Quand on se lance dans un tel projet, on accepte l’idée que l’on n’a pas d’autre moyen que de ressortir du canyon par ses propres moyens. Nous nous endormons bien vite, fatigués par cette longue journée de randonnée, de belles images plein la tête et dans l’incertitude du planning du lendemain.

Au réveil vers 5h30-6h du matin, Silvère est convaincu que nous devons abandonner la dernière partie de l’ascension de la rive Nord afin de focaliser nos efforts (et particulièrement les miens) sur la remontée de la rive Sud. L’idée est que si je fais face au même problème que la veille lors de cette remontée, on pourra toujours couper cette remontée en deux et l’effectuer sur deux jours et non un seul. Si cette décision semble la plus adaptée à la situation, elle est cependant difficile à digérer, car elle met un terme définitif à l’objectif de notre périple, un Rim-to-Rim-to-Rim. Mais c’est la règle du jeu que l’on doit accepter dans ce genre d’aventure : si l’on se fixe des objectifs extrêmement ambitieux, il faut accepter de ne pas forcément les atteindre entièrement, et surtout il faut rester responsable de sa propre sécurité. En dehors d’un accident (jambe cassée par exemple), personne ne viendra vous sortir du canyon. On doit gérer nous-même notre sortie du canyon.
Nous démontons donc nos tentes et repartons à 7h du matin en direction du Phantom Ranch. Nous retraversons le fond du canyon et les paysages sont toujours aussi beaux. Nous essayons de ne pas traîner, car on sait que la remontée qui suit sera longue, et qu’une randonnée trop longue finira par être exténuante. Grâce à cet horaire matinal, nous souffrons moins de la chaleur dans le box canyon bien que le soleil se fasse déjà sentir. Nous arrivons à 9h45 au Phantom Ranch. Des randonneurs partis tôt de la rive sud arrivent en continue, et profitent également d’une bonne lemonade pour faire la pause. Après une bonne demi-heure, nous reprenons le chemin pour remonter vers la rive sud par le Bright Angel Trail. Notre prochain grand arrêt devrait être l’Indian Garden où nous comptons faire une bonne pause et déjeuner avant d’attaquer la partie la plus dure de la remontée. Mais progressivement, mes forces semblent m’abandonner. Nous multiplions donc les pauses et nous nous donnons des objectifs chaque fois plus courts entre chaque pause. Nous arrivons finalement à 14h à l’Indian Garden Campground où nous pouvons nous ravitailler en eau avant d’entreprendre la dernière portion de la remontée. Nous trouvons un petit coin à l’ombre, mangeons un peu (je n’arrive toujours pas à m’alimenter correctement). Je fais une petite sieste pensant ainsi recharger mes batteries.

Nous repartons finalement après 2 heures de repos. Il ne reste plus que la moitié de la remontée mais deux tiers du dénivelé. Et très vite, nous arrivons à une première section de “switchbacks”, des virages en lacets très serrés et très pentus, particulièrement éprouvants. Je me sens complètement exténuée, et j’angoisse de ne pas réussir à sortir à temps du canyon. Silvère me propose de retourner camper à l’Indian Garden Campground mais je préfère continuer. Mais très vite, il faut se rendre à l’évidence : chaque nouvelle portion semble plus difficile que la précédente. Silvère propose alors qu’on rejoigne la prochaine Rest House, un petit abri permettant aux randonneurs de se reposer à l’ombre, et d’y passer la nuit avant de reprendre l’ascension une fois reposée, le lendemain matin, à la fraîche. Certes, cette option n’est théoriquement pas permise par le parc (nous avons bien un permis pour une nuit supplémentaire dans le Grand Canyon, mais au Cottonwood Campground et le camping “sauvage” est bien naturellement interdit), mais il me convainc qu’en cas de situation d’urgence, nous devons faire avec les moyens que nous avons. Par conséquent, j’opte pour nous arrêter au prochain abri et en faire une étape jusqu’au lendemain. Nous continuons péniblement et finissons par atteindre la 3-miles resthouse. On est à moins de 5 kilomètres de la fin, mais 5 kilomètres particulièrement compliqués, avec plus de 600 mètres de dénivelé. A notre arrivée à l’abri, nous apercevons un Parc Ranger. En réalité il s’agit d’un volontaire du National Park qui assure la régulation des randonneurs et s’assure que tout le monde va bien. Silvère lui explique la situation, à savoir que je suis complètement exténuée et à bout de force. Il nous pose quelques questions, pour bien jauger la situation, et nous explique qu’il va contacter le poste de secours. Pourtant, je ne veux absolument pas être évacuée ! J’ai juste besoin de me reposer et reprendre des forces. Je veux absolument terminer notre randonnée. En réalité, il n’est pas question d’évacuation sanitaire : à moins d’une blessure rendant impossible de s’extraire par soi-même du canyon, on doit bien ressortir du canyon de la même manière qu’on y est entré : sur ses deux pattes. Après avoir conversé avec ses supérieurs pour analyser la situation, le volontaire nous indique que deux options s’offrent à nous : soit nous “campons” avec leur accord le soir dans cet abri comme nous le souhaitions, soit je me sens capable d’effectuer tout de même la fin de la remontée, mais à mon rythme et il nous accompagnera sur l’ensemble du trajet, quitte à finir de nuit. Il nous indique qu’on peut toujours tenter d’avancer encore un peu, et qu’il y a un autre abri dans 1.5 miles, où nous pourrons passer la nuit si finalement je n’arrive pas à aller jusqu’au bout. J’avoue que le volontaire a un discours qui me rassure énormément. Il me convainc que j’ai déjà fait la majeure partie de la section la plus difficile et pentue de la remontée. Après une bonne demi-heure de repos dans cet abri, je décide de continuer et de tenter de terminer cette remontée. Et cette dernière sera lente, …. très lente, ponctuée par de très très nombreux arrêts (brefs, mais nécessaires pour reprendre mon souffle). Nous comprenons progressivement que nous terminerons de nuit. Au fil de la progression, les randonneurs se font de plus en plus rares, mais nous ne sommes pas seuls à terminer aussi tardivement. Nous rencontrons notamment les derniers ultra-trailers qui terminent leur 3R dans la journée, mais aussi les derniers randonneurs qui comme nous achèvent avec difficulté la remontée. Le volontaire qui suit mes traces est particulièrement bienveillant. Il connaît parfaitement le trail et me donne des objectifs à très très court terme. Nous discutons avec lui pendant toute la durée de la remontée. C’est un grand randonneur et alpiniste, qui a gravi de nombreux sommets, et est même monté jusqu’à l’Everest Base Camp (le dernier camp de base d’où l’on part pour faire l’ascension de l’Everest). Il habite à Phoenix à 4h de route du Grand Canyon. Il est volontaire depuis plusieurs années et offre chaque année 10 jours de son temps au Parc National. Nous arriverons finalement à 20h30 en haut de la rive Sud du Grand Canyon au point de départ du Bright Angel Trail. C’est ici que se terminera cette dernière journée de marche de 25 km de marche avec 1300 mètres de dénivelé positif, et 500 mètres de dénivelé négatif. Je suis particulièrement reconnaissante auprès de ce volontaire qui a su trouver les mots pour m’aider à terminer. Certes, je n’ai pas réussi à faire un Rim-to-Rim-to-Rim complet mais un trois-quart de Rim-to-Rim-to-Rim en deux jours est finalement déjà une belle réussite.
Ce fut une expérience remarquable et pleine d’enseignements. Cette traversée est vraiment magnifique et est un réel défi sportif (les filles considèrent que c’est la randonnée la plus difficile que nous ayons jamais faite et ont eu des courbatures pendant plus d’une semaine).

Personnellement je dois désormais comprendre pourquoi je n’arrive pas à m’alimenter pendant l’effort et y trouver une solution afin de ne pas perdre mon énergie. Alors étions-nous suffisamment préparés ? Nous savions que c’était un véritable challenge. Nous étions confiants dans notre capacité à produire des efforts. Nous nous étions préparés à marcher longtemps. Par contre, j’étais moins préparée aux dénivelés (même si nous avons essayé de nous y préparer autant que possible). Mais chaque balade est unique et le terrain différent. Avec le recul, il est désormais évident que nous sommes partis beaucoup trop chargés. Tout le monde le dit dans tous les témoignages qu’on a pu lire, mais il n’y a qu’en faisant l’expérience directe qu’on comprend à quelle point ça peut être vrai et handicapant. Nous avons également sous-estimé l’impact de la chaleur à cette époque de l’année. Nous nous sommes faits surprendre par le coup de chaud que j’ai eu lors de la descente. Nous avons cependant réussi à nous hydrater correctement (avec de l’eau en quantité suffisante, et des pastilles d’électrolytes pour reconstituer les pertes de sels considérables dues à la transpiration), mais le vent a gommé tout le ressenti du soleil tapant. Les coups de chaleur frappent quotidiennement les randonneurs du Grand Canyon. C’est la première cause d’incident dans le canyon et on comprend vite pourquoi. Enfin ce qui était le moins prévisible était mon incapacité à m’alimenter pendant l’effort qui aura finalement eu de fortes conséquences sur le déroulé de notre traversée.

Avons-nous eu raison d’effectuer cette traversée ? Mille fois OUI ! D’une part, je suis certaine que nous sommes passés non loin de sa réussite. Nous avons tout de même effectué la traversée programmée au trois quart. Malgré les difficultés auxquelles nous avons dû faire face, nous n’avons jamais été en danger, ou dans l’incapacité de nous en sortir par nous-même. Nous avions de quoi boire, de quoi manger, de quoi nous abriter, nous n’étions pas perdus. Nous étions conscients de nos capacités à chaque moment, et nous avons su prendre les bonnes décisions quand cela fut nécessaire. D’autre part, les mois de préparation de ce projet ont été des bouffées d’oxygène dans un quotidien difficile. C’est ce que nous vivons pour nos autres périples et aussi avec nos clients lors de la préparation de leur voyage : la période de préparation fait partie intégrante du projet et nous met dans une dynamique positive.

Cela fait désormais 3 semaines que nous avons effectué cette traversée. Nous n’avons plus de stigmates physiques, par contre il nous reste toutes ces belles images dans la tête. Le soir de notre première journée dans le canyon, je m’étais dit que cette randonnée me suffisait et que j’avais ainsi déjà accompli mon rêve. Mais désormais j’avoue que je me laisserais bien tenter par un Rim-to-Rim qui était notre tout premier projet initial, si l’on peut partir à une saison qui le permette (rive nord ouverte).

 

Voilà le récit sincère de notre tentative de traversée du Grand Canyon d’une rive à l’autre et retour !

2 Commentaires

  1. guibout

    bravo à vs 4 ! vs êtes des warriors !
    Sublime ….
    les guibout’s

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  2. Rafa

    Merci Sandrine pour ce partage d’émotions intenses.

    Bravo pour cette réussite et plus encore pour ces efforts indissociables à ce succes.

    Heureuse continuation à votre belle famille.

    Répondre

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